Charte de la transition en Guinée: du copier-coller

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Par Alpha Ousmane BARRY, Professeur des Universités en France : La mimésis est une notion introduite par Platon dans la République (Livre 1 et 2). Elle a été par la suite reprise par Aristote, puis a connu au cours des siècles plusieurs développements théoriques. S’appliquant, tout d’abord, dans un contexte religieux à la danse, au mime et à la musique, la mimésis recouvre l’idée d’imitation dans son rapport au réel. Dans sa théorie, Platon soutient les qualités du discours indirect libre comme moyen permettant de transmette efficacement des vérités à l’aide de l’imitation. Ainsi, l’imitation pourrait-elle constituer un masque qui colle à la peau de l’imitateur. Ce qui s’adresse ici à tous les Guinéens et qu’on essaye de leur faire comprendre de façon plus simple consiste à soutenir l’idée que la représentation n’est qu’une piètre copie du réel. En d’autres termes, il ne suffit pas de reproduire des articles de la constitution ou de la reconnaissance des droits universels de l’Homme, ou encore de ratification de plusieurs traités d’organismes internationaux pour que cela se réalise dans les faits en contexte guinéen.

Le discours n’est transparent au monde qu’exceptionnellement, ce qui revient à admettre que la reproduction d’articles de lois, par simple imitation, peut être doublement éloignée de la vraie nature des choses. Le vrai rimant avec le bien, il n’est pas exclu que l’imitation des textes de lois par le CNRD déforme le contenu des idées et opère un détournement moral en influençant l’opinion publique guinéenne en proie à une sorte d’enchantement voire de frénésie collective. On pourrait inférer que si l’homme est imitatif par nature, il est une tendance commune à tous les hommes de prendre plaisir aux représentations, en tant que fondement de l’opinion publique, qui n’est rien d’autre chose qu’une doxa (croyance à mi-chemin entre la vérité et le mensonge).

A la lecture du Vademecum de la transition, qui s’étend sur 13 pages, publié le 27 septembre le CNRD, plusieurs aspects retiennent l’attention d’un esprit attentif. En effet, on peut s’attarder, dans un premier temps, sur deux paragraphes du texte : i) « considérant les conclusions des concertations nationales inclusives, tenues à Conakry du 14 au 23 septembre 2021 au Palais du Peuple, avec les … ». En lisant ces choses-là, on est tout simplement abasourdi voire étonné que le destin d’un pays et de tout un peuple soit scellé de façon aussi expéditive, surtout quand on a suivi avec attention le désordre et le tohu-bohu qui ont émaillé l’organisation de ces concertations. En plus du manque d’organisation – désordre à la guinéenne – qui est un phénomène patent dans notre pays, on voit mal en un temps aussi court accordé à chaque composante sociale, comment le résultat du travail réalisé puisse déboucher sur du construit. En lieu et place de cette poudre jetée à la figure des Guinéens, on aurait dû demander à chaque catégorie d’organisation (Partis politiques, société civile, syndicats, confessions religieuses…) de se concerter, dans un premier temps, et au cours d’une sorte de conférence plénière programmée à cet effet, le représentant de chaque composante aurait la charge de présenter la synthèse des travaux de son unité sociale. Une telle disposition aurait pu déboucher sur un débat national et un document final issu des travaux, pouvant servir de lanterne tout au long de la période de transition. Pauvre de nous Guinéens !

ii) Le deuxième volet concerne le paragraphe 2 « Prenant acte des propositions et recommandations des différentes composantes des forces vives de la Nation », quand on prend un peu plus de recul par rapport ce qui est dit en ces mots et la manière expéditive dont ces rapports-propositions ont été rassemblés, il apparaît sans doute qu’il y a encore du grain à moudre pour remettre ce pays sur les rails. Aussi, par-delà les considérants qui se suivent à la queue-le-le, le chapitre 1 soulève également quelques questions. En effet, dix-huit valeurs et principes en couple de deux sont énoncées au plan paradigmatique, comme des colonnes d’un temple. Mais quand on y regarde de plus près, le premier couple pose problème car la justice doit précéder le pardon et la réconciliation. Dans le cas contraire, cela consisterait à « tresser des cheveux d’une tête infestée de puces ». Les Guinéens ont soif de justice, il est de notre devoir d’assumer pleinement notre histoire politique ponctuée de violences sanglantes et délits économiques par la folie des hommes.

Par ailleurs, tous les chapitres traitant des missions, de la souveraineté, des libertés, droits, devoirs, etc. sont une sorte de tralala que l’on retrouve dans toutes les constitutions. C’est à ce niveau que la mimésis trouve son vrai champ d’application. Ce regard est aussi valable pour tous les chapitres consacrés au Comité National de transition et à son président, au Conseil National de la transition, entre autres. Certes les articles affichent de bonnes intentions dans le discours, mais ce ne sont pas les idées bien intentionnées qui sortiront la Guinée des maux qui l’accablent. Il faudra que celles proclamées soient suivies d’actes concrets qui les valident.

Un autre aspect de la charte qui pose problème concerne la répartition des 81postes du CNT. On se demande, d’une part sur quelle base voire quel critère seront désignés certains membres du CNT, d’autre part on sait que la Guinée compte quatre régions naturelles, or pour la rubrique « sages des régions », seuls deux représentants sont prévus, cela ne pourrait-il pas raviver des querelles ? Surtout que les régions sont polarisées ethniquement et que les vrais démons de la Guinée sont tapis dans le tribalisme politique. Il apparaît enfin que l’équi-répartition des membres du CNT soulève bien des questions. Par exemple, « huit personnes ressources » est un chiffre trop important et à l’inverse quinze représentants des formations politiques est faible par rapport à l’éventail de leur nombre qui attend plusieurs centaines.

Entre autres choses, on peut penser que le chapitre premier du titre II concernant les attributions du CNRD soulève bien de questions. En effet, l’article 37 stipule « Le Comité National du Rassemblement pour le Développement est l’organe central de définition et d’orientation stratégique de la politique économique, sociale, culturelle et de développement du pays. Il est garant de la sécurité et de la cohésion nationales, de la stabilité et de la paix… ».

A la lecture du texte, dans son ensemble, tout se passe comme s’il y avait des chevauchements dans l’attribution des responsabilités aux différentes institutions de la transition ou alors que, selon le principe de « la charité bien ordonnée commence par soi », notre « junte militaire nationale » s’attribuait tout banalement la part la plus importante du gâteau. On met sur pied des institutions mais au fond toute décision à prendre revient en fin de compte au CNRD. Pour tous ceux qui, en observateurs patients, ont porté un regard attentif au fonctionnement du pouvoir qui vient de s’effondrer, tout se passe comme si, entre Alpha Condé et le RPG, chacun utilisait l’autre à ses fins. Le RPG s’est battu pour que Alpha Condé soit porté à la tête du pays et en retour en a profité pour s’approprier tout le pouvoir à son préjudice. Ainsi, le président était-il à la tête d’un pays sans en avoir le contrôle sur tout.

Enfin, on peut objecter le silence suspect de la Charte sur le devenir de ceux qui ont exercé préalablement le pouvoir. De ce fait, à la lecture de ce texte, il apparaît également que nulle part il n’est fait mention d’audit ou de diagnostic de la situation voire de procès d’éventuels coupables de délits financiers ou de toute autre nature. Le texte s’attarde simplement sur l’énumération d’actions d’ordre général sans aucune précision sur ce qu’auraient souhaité y trouver les Guinéens, soifs d’être assurés de l’avenir. Cette lecture lapidaire de la Charte, qui vient d’être publiée, est celle d’un autre regard sur ce qui se dessine en perspective pour notre beau-pays-la-Guinée et ses citoyens, où tous les espoirs et tous les doutes sont permis à présent.

Alpha Ousmane BARRY, Professeur des Universités en France

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